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Charte de la laïcité : les réactions en Alsace
17.9.13 De la compatibilité entre l'enseignement religieux et la
laïcité La conversion républicaine
et laïque du Front national n'est qu'un leurre M. Sarkozy, la laïcité et la "religion
civile"
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Points de vue laïques Articles, opinions, tribunes,
propos... exprimant un point de vue sur la laïcité et que nous estimons
devoir porter à la connaissance des lecteurs.| |
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Dieu est laïque Par Joseph Macé-Scaron Marianne, 23 au 29 janvier 2015 |
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Que peut apporter aux laïques d’Alsace et de Moselle la
nouvelle convention entre l’état et les communautés religieuses du
Luxembourg ? Une analyse de Claude Hollé (janvier 2015) |
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Laïcs
- laïques Par Henri Pena-Ruiz Ce texte est
extrait du dernier ouvrage de Henri Pena-Ruiz,
publié le 20 février 2014 : « Dictionnaire amoureux de la
laïcité » (Editions Plon, 850 pages, 25 €) et
reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur. « Laîcs
- laïques » constitue l’une des entrées de ce dictionnaire, pages 547 et
suivantes de l’ouvrage. |
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Charte de la laïcité : les
réactions en Alsace (DNA 17/09/2013) La présentation par le ministre
Vincent Peillon de la charte de la laïcité qui sera
affichée dans les écoles, [DNA du mardi 10 septembre] a suscité plusieurs
réactions en Alsace. La Ligue de l’enseignement du Bas-Rhin salue « un texte important à
faire vivre ». Pour le président de la Ligue, Marc Bouté, un texte d’une
certaine solennité s’imposait « alors que les passions et les calculs tendent
à investir le débat permanent légitime et nécessaire sur la laïcité ». La
Ligue retrouve dans cette charte de la laïcité « les grands principes
inscrits dans la Constitution et dans la loi. République indivisible, laïque
et sociale, la France assure la liberté de conscience de tous et de chacun ». Cette Charte « ne sombre ni dans l’incantation ni dans l’interdit et
rejoint l’ambition d’une École bienveillante et inclusive pour toutes et tous
», souligne Marc Bouté, qui s’étonne cependant que ce texte n’intègre pas la
prochaine approche laïque de la morale qui devra être explicitée dans la
future refonte des programmes. L’association Laïcité d’accord préfère pointer du doigt les
contractions entre les principes de laïcité affichés dans cette charte et la
situation dans les établissements scolaires d’Alsace et de Moselle. En vertu des articles 11 et 14, les personnels de l’Éducation
nationale devront expliquer que « la laïcité organise la séparation des
cultes et de l’État ». Les élèves d’Alsace et de Moselle vont alors se
demander « pourquoi ces territoires de la République laïque sont toujours
soumis au Concordat », « pourquoi on leur impose un enseignement de religion,
avec possibilité de dispense, totalement contraire aux principes laïques ». Pour Laïcité d’accord, les Alsaciens et les Mosellans doivent pouvoir «
vivre pleinement les principes laïques qui seuls contribuent au respect des
références philosophiques ou religieuses de chacun tout en garantissant le
vivre ensemble dans la paix civile ». |
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Point de vue paru dans "Les Dernières Nouvelles d'Alsace" du 3 février 2013 De la compatibilité entre l’enseignement religieux et la laïcité Par JEAN-MARIE GILLIG
Inspecteur honoraire de l’Éducation nationale « La question religieuse en
Alsace suscite actuellement dans l’opinion une montée en puissance du débat.
Il ne se passe guère de semaine sans que les DNA ne rendent compte des
positions qui alimentent la controverse. On peut s’en réjouir et dire
qu’enfin les temps sont venus où les questions du Concordat, du Statut
scolaire local et de l’enseignement religieux sortent de l’ombre, et parce
qu’elles sont portées en pleine lumière, laissent augurer prochainement
quelques remaniements au particularisme alsacien cultuel et scolaire. L’enseignement religieux en
milieu scolaire n’a plus guère la cote auprès des parents Sur ce dernier point précis,
rien n’a bougé concernant l’enseignement religieux obligatoire à l’école, au
collège, au lycée, depuis l’aménagement du statut scolaire de
septembre 1974 qui accordait enfin la liberté aux maîtres d’assurer ou
non son enseignement à l’école élémentaire. Le seul fait nouveau, à part la
reprise du militantisme laïque en Alsace mené par des associations comme le
Cercle Jean Macé ou Laïcité d’accord, la Fédération des conseils de parents
d’élèves et quelques syndicats enseignants, c’est que le constat est
maintenant clairement établi que l’enseignement religieux en milieu scolaire
n’a plus guère la cote auprès des parents et est parvenu à son niveau le plus
bas de la participation des élèves. Du jamais vu : plus d’un tiers des familles
demande la dispense à l’école élémentaire, plus de deux-tiers font de même au
collège, et un élève sur deux refuse d’y participer au lycée. M’intéressant en tant qu’auteur
récent d’un ouvrage sur la question de l’enseignement religieux à l’école en
Alsace (Bilinguisme et religion à l’école, l’Alsace divisée, édition de la
Nuée-Bleue), je suis attentif à tout ce que publie la presse sur ce sujet. Un
point de vue du pasteur Michel Weckel paru dans les
DNA du 27 janvier m’a paru apporter une contribution sincère au débat,
mais ne semble pas aller au bout de la logique de son auteur lorsqu’il
affirme que sa sensibilité l’amène à être « aux côtés des laïques ». S’il
veut parler des laïques qui militent pour les libertés de pensée, de
conscience et de religion, je veux bien être à ses côtés, mais j’entends par
ces libertés celles qui sont visées par la Convention européenne des droits
de l’homme du 4 novembre 1950, par la constitution du 4 octobre
1958 qui affirme que la France respecte toutes les croyances et par la loi de
séparation des églises et de l’État du 9 décembre 1905 qui assure la
liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes. Non pas la
liberté religieuse réservée exclusivement aux cultes reconnus qui imposent
encore, au nom de la loi Falloux de 1850 et de textes réglementaires
allemands datant de 1887, la religion à l’école avec cette chicane nommée
dispense pour ceux qui au nom de la liberté de conscience précisément sont
astreints à se libérer de ce pensum forcé. Je veux bien admettre également
avec le pasteur Weckel que l’enseignement religieux
est une œuvre de civilisation « nullement contradictoire avec les principes
fondamentaux de la laïcité » à condition que cette œuvre n’occupe pas
l’espace de l’école publique comme si les églises avaient besoin de ce droit
pour y imposer leur religion, au mépris même de la laïcité inscrite dans la
constitution dont la partie affirmant que la France est une République
indivisible, laïque n’est toujours pas appliquée en Alsace et en Moselle. Si l’idéal laïque auquel se
réfère le pasteur Weckel est une variété de laïcité
à l’alsacienne dont se revendiquent les autorités ecclésiastiques partisanes
inconditionnelles d’une laïcité étiquetée multiculturelle, ouverte, positive,
sereine et apaisée, selon les propos de ses plus ardents supporters, qui ne
s’appliquerait qu’à la liberté religieuse pour légitimer indéfiniment et
maintenir artificiellement la présence du religieux dans les institutions
publiques comme l’école, je dis que cette conception de la laïcité est la
même qui rend paradoxalement obligatoire l’enseignement religieux dans le
milieu scolaire public. Une simple option Pour clore mon point de vue, je
pense que la laïcité à l’alsacienne, qui n’est pas la mienne, ne perdrait
même pas un millionième de sa substance si cet enseignement religieux
devenait enfin optionnel, à la seule demande des parents qui voudraient
continuer à lui confier leurs enfants. Avec la suppression de la dispense, ce
serait enfin un premier pas vers la laïcité, la seule, sans épithète, celle
de la République. Il faudra quand même un jour rendre compatibles la liberté
religieuse et la liberté de conscience, non ? Et merci aux lecteurs des DNA
qui voudront s’associer à ce débat. » |
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Article
d'Henri Peña-Ruiz, paru dans l'édition en ligne du
Monde du 21.01.11 La conversion républicaine et laïque du Front national n'est qu'un leurre Fraternité, liberté, égalité : des principes conquis contre le christianisme Juste, et nécessaire, est la critique de l'islamisme. Mais pas au nom d'un christianisme absous de ses violences millénaires par une mémoire sélective. Sans surprise, Marine Le Pen se situe dans la logique du choc des civilisations chère à Samuel Huntington. Mais cette fois-ci elle prétend récupérer des principes révolutionnaires. Elle affirme que les principes émancipateurs consignés dans le triptyque républicain sont issus d'une tradition religieuse propre à l'Occident, alors qu'ils ont été conquis dans le sang et les larmes, à rebours d'oppressions sacralisées par le christianisme institutionnel. Faire dériver les trois principes de liberté, d'égalité et de fraternité du transfert aux autorités séculières de valeurs religieuses est une contre-vérité. Pendant près de quinze siècles de domination temporelle, et pas seulement spirituelle, de l'Eglise catholique en Occident - en gros de la conversion de Constantin en 312 à la Révolution de 1789 -, jamais le christianisme institutionnalisé n'a pensé ni promu les trois valeurs en question. Il les a bien plutôt bafouées copieusement et ces valeurs sont à l'inverse nées d'une résistance à l'oppression théologico-politique. Qu'on en juge. Liberté ? Le droit canon de l'Eglise n'a jamais fait figurer la liberté de conscience (être athée, pouvoir apostasier une religion, en changer, etc.) dans ses principes essentiels. Tout au contraire. La répression des hérétiques (les cathares, par exemple), des autres religions (protestante, juive, puis musulmane), de la science (Giordano Bruno, Galilée), de la culture (l'index des livres interdits supprimé seulement en 1962) ne procède pas d'une philosophie de la liberté, mais d'une théologie de la contrainte. En 1864 encore, un syllabus de Pie IX (encyclique Quanta cura) jette l'anathème sur la liberté de conscience. Egalité ? L'Eglise a toujours considéré que l'inégalité était inscrite dans l'ordre des choses et voulue par Dieu. Elle a entériné et sacralisé le servage de l'ordre féodal, la monarchie absolue dite de droit divin, et même, avec le pape Léon XIII à la fin du XIXe siècle, la domination capitaliste. La répression des jacqueries paysannes se fit le plus souvent avec sa bénédiction. La seule égalité qu'elle a affirmée est celle des hommes prisonniers de leur finitude et de leur tendance au péché, et jamais elle n'en a fait la matrice d'une émancipation sociale ou politique. Ceux qui le tentèrent furent réprimés. La théologie de la libération, en Amérique latine, fut condamnée par Jean Paul II. La collusion du politique et du religieux fut aussi celle de l'ordre social et du religieux, si bien représenté par les soldats du Christ d'une noblesse peu soucieuse de ses serfs, à l'époque des croisades. Lors de l'affaire Dreyfus, l'Eglise n'a pas brillé dans la défense de la liberté et de l'égalité, et n'a guère mis en garde contre l'abjection de l'antisémitisme. Fraternité ? Si théoriquement les hommes sont frères comme fils du Dieu chrétien, ils ne le sont que dans la soumission et non dans l'accomplissement, toujours stigmatisé comme « péché d'orgueil ». La transposition de la fraternité issue de la condition commune des êtres humains tant qu'ils sont mortels en fraternité sociale et politique est l'invention d'un concept tout nouveau, qui doit bien plus au droit romain d'une humanitas que Cicéron tenait pour source de la République qu'au décalque d'une fraternité de finitude. Rappelons que la réécriture cléricale de l'histoire visant à faire d'une tradition religieuse particulière la source des principes universels de l'émancipation est devenue courante, malgré son évidente fausseté. Elle consiste à nier les apports du droit naturel (jusnaturalisme souligné par les historiens du droit) issu de l'Antiquité gréco-latine mais aussi les souffrances et les luttes, qui furent les vrais leviers de l'émancipation, en dessinant les idéaux qui, en creux, dénonçaient les oppressions. Il faut que Spartacus prenne les armes pour transposer en termes sociaux l'égalité de droits des citoyens et étendre la liberté juridique à tous les hommes. Quant à l'égalité évoquée par Paul de Tarse elle n'est jamais un concept socio-politique ni juridique, mais un nivellement religieux de tous les hommes compris comme fidèles soumis à Dieu. Ce qui est pervers et idéologiquement redoutable dans le nouveau discours du Front national, c'est le fait de tenter d'assumer les valeurs républicaines alors que traditionnellement c'est l'ordre social dominateur qui était encensé. Joseph de Maistre, penseur chrétien contre-révolutionnaire, ironisait sur les droits de l'homme, qu'il jugeait abstraits et peu crédibles au regard d'inégalités tenues pour naturelles. C'est lui qui fonde l'idéologie de la droite extrême. Il rejette du même coup l'universalisme qui consiste à tenir l'humanité comme d'égale dignité, abstraction faite des hiérarchies sociales sédimentées dans la tradition occidentale et des différences de civilisation. Et il en tire une condamnation de la Révolution française. Voilà la tradition occidentale façonnée en partie par le christianisme institutionnel. Cette fois-ci l'opération séduction de Marine Le Pen consiste à assigner à résidence les idéaux émancipateurs, à particulariser l'universel, à taire le long passé de luttes et de larmes qui les fit advenir contre une tradition fondamentalement rétrograde et oppressive. La nouvelle figure du différencialisme discriminatoire consiste à prétendre que seuls certains peuples habités par certaines religions ont accouché des droits de l'homme, et que les autres, par essence, sont hostiles à de tels droits. Défendre ceux-ci, c'est donc continuer à exalter subrepticement certains peuples par rapport à d'autres. Au fond rien n'a changé, sinon l'habillage idéologique. Pas de Turcs dans l'Europe vaticane ! Après le différencialisme biologique, le différencialisme dit culturel se mue en discrimination hiérarchique et s'efforce de nourrir le rejet de certains peuples au nom de principes universels... qui seraient nés spontanément de civilisations particulières ! La ficelle est grosse mais elle peut hélas être efficace si l'on pratique l'amnésie volontaire de l'histoire. Et son instrumentalisation pour nourrir un prétendu choc des civilisations est dangereuse. Elle prétend essentialiser des données historiques, diaboliser certaines religions en les clouant à leur figure intégriste et en présentant les autres sous leurs traits « nouveaux » après avoir effacé de la mémoire collective les tragédies que leur instrumentalisation politique déclencha. En écrivant le livre noir du christianisme officiel, Kant et Hugo ont réfuté par avance les thèses de Marine Le Pen. L'analyse effectuée ici pour le triptyque républicain vaut donc a fortiori pour la laïcité, dont une nouvelle idéologie prétend qu'elle serait née du christianisme, alors que celui-ci, dans son institutionnalisation, en a constamment piétiné les principes constitutifs. Ni la liberté de conscience ni l'égalité des divers croyants, des athées et des agnostiques n'ont jamais été défendues en théorie ni promues en pratique par les autorités chrétiennes, et il a fallu que les luttes pour l'émancipation laïque les fasse advenir. Le « ralliement » (ambigu d'ailleurs, car nostalgique des privilèges perdus) de l'Eglise à la laïcité ne s'est fait, du bout des lèvres, qu'au XXe siècle. C'est bien tard pour une institution présentée comme habitée par de telles valeurs dès l'origine... Henri Peña-Ruiz |
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Article d'Henri Tincq paru dans l'édition du Monde du 26.01.08. M. Sarkozy, la laïcité et la "religion
civile"
Quelle "laïcité" pour l'Europe du XXIe siècle ? La laïcité est-elle encore armée pour affronter des défis comme le multiculturalisme, la menace intégriste ou le besoin de repères solides face aux interrogations sur la bioéthique, la naissance ou la mort ? Est-elle un concept dépassé, la ponctuation de querelles archaïques ou un idéal encore assez mobilisateur, fédérateur, une ligne d'horizon capable de délimiter, d'affronter les défis de demain et inspirer pour de bon les rapports entre États et religions ? Le débat sur la place des religions dans la société démocratique redevient explosif en Europe. Avec sa foi chrétienne déclinante, des minorités musulmane et hindoue vivantes, la Grande-Bretagne se perçoit déjà comme une société multiconfessionnelle. Mais en Allemagne, aux Pays-Bas, en France, l'intégration de la minorité musulmane suscite toujours autant de tensions. En Espagne, en Italie, les catholiques mènent l'offensive contre des évolutions de mœurs perçues dans la société comme des droits nouveaux (euthanasie, unions homosexuelles, etc.). A Madrid, ils manifestent dans les rues. A Rome, un fait inouï vient de se produire : devant une menace de manifestation "laïque" à la vieille université de la Sapienza où il devait prononcer un discours, le pape Benoît XVI a décidé de rester chez lui. Un tabou a sauté - la liberté de parole du pape - qui a mis en émoi le monde politique et l'Eglise. Dans ce contexte, Nicolas Sarkozy a prononcé deux discours, à la basilique du Latran à Rome le 20 décembre 2007 et à Riyad le 14 janvier, qui proposent une vision de la laïcité assez différente de celle qui avait fini par s'imposer en France après un siècle de crises. Depuis, certains prêtent au président français des intentions "concordatrices", dans la lignée d'un Napoléon qui avait une vision plutôt politique et cynique de la religion : "Comment avoir de l'ordre dans un État sans religion ? La société ne peut exister sans l'inégalité des fortunes et l'inégalité des fortunes ne peut subsister sans la religion", écrivait-il en 1801, l'année du concordat signé avec Pie VII, destiné à rétablir la paix civile et religieuse après la Révolution. On le dit également issu de la vieille droite maurrassienne. Charles Maurras (1868-1962) était un agnostique admiratif de l'œuvre civilisatrice de l'Église catholique, comptable des rancœurs accumulées par la laïcisation et la séparation. Pour lui aussi, la religion seule assure le salut public et l'ordre. "La religion étant attaquée sur le terrain politique, il faut la défendre politiquement", écrivait-il en 1912 dans Politique religieuse. Mais Maurras était surtout un antirépublicain et la comparaison avec M. Sarkozy est absurde. L'inspiration peut-être la moins contestable est celle qui prête à M. Sarkozy un rêve de "religion civile" à l'américaine. La Constitution des États-Unis sépare nettement la religion de l'État, mais une "religion civile" existe bien, qui exclut toute suprématie confessionnelle, mais place sans complexe la religion au cœur de sa sphère publique. C'est à ce titre que le président élu prête serment sur la Bible ou, dans un autre genre, au nom d'une liberté de religion sans restriction, que l'Église de scientologie a droit de cité. M. Sarkozy a répété qu'il ne toucherait pas "substantiellement" à la loi de séparation de 1905. Celle-ci reste d'autant plus la boussole que, depuis, l'islam s'est installé et que la France n'est à l'abri ni de tensions islamistes ni d'un évangélisme devenu agressif. Mais il veut en finir pour de bon avec "la guerre des deux France" (cléricale et laïque), avec l'hypocrisie qui régit les rapports entre les religions et l'État, officiellement séparés mais unis par de nombreux liens et compromis. Il veut passer de l'ignorance officielle à la reconnaissance du "fait religieux" dans ses dimensions historique et culturelle. Pour lui, on peut d'autant moins réduire la religion au simple "espace privé" que des demandes spirituelles existent qu'il ne serait ni juste ni réaliste d'ignorer. RECONSTITUTION DE L'HISTOIRE C'est la même "Realpolitik" qui l'a conduit à Riyad, capitale du wahhabisme - la version la plus radicale de l'islam - à invoquer à 13 reprises le nom de Dieu, avant de faire un éloge, appuyé mais tardif, de la "diversité" des religions, ce qui était le moins dans la théocratie saoudienne. Une "politique de civilisation" n'aurait aucune chance d'aboutir, en effet, si la dimension religieuse de l'homme n'était pas respectée, si le jeu des forces confessionnelles dans le monde était ignoré, si la tolérance n'était mise au cœur du projet. Le procès de "communautarisme" déjà intenté à M. Sarkozy semble prématuré. Sa volonté d'apaisement des querelles religieuses n'est pas contestable, mais son expression est maladroite. Affirmer à Riyad que "Dieu est au coeur de chaque homme" est une option philosophique, étonnante de la part du chef d'un Etat laïque. Etonnante aussi, pour les historiens, la vision unilatérale de l'histoire de la laïcité qu'il a développée dans son discours de Latran. M. Sarkozy n'y retient que l'héritage positif de l'œuvre de l'Église et l'héritage négatif de la contestation laïque. Mettre sur le même plan le rôle du "curé" et de l'instituteur dans l'éducation des masses ne résiste pas à l'examen historique. Non plus que le fait d'ériger l'Église, dans les luttes de séparation, comme la seule victime et martyre, faisant passer la laïcité au mieux pour une "cruauté gratuite", comme dit l'historien Jean Baubérot. Cette reconstitution de l'histoire ni ressemble ni à la vérité ni à l'équité. L'erreur de M. Sarkozy est de confondre la laïcité et la sécularisation des mœurs, des comportements, des idées. C'est l'erreur que commettent aussi, à leur manière, les épiscopats espagnol et italien inscrivant sur le compte d'offensives laïques l'affaiblissement de la mémoire chrétienne, le déclin des pratiques religieuses, l'enlisement de la foi dans les délices du matérialisme. La sécularisation triomphe en Europe, fruit d'histoires nationales complexes et d'un effritement de valeurs fondées sur le christianisme. Mais, au nom d'une "laïcité positive", en fait néocléricale dans la bouche de M. Sarkozy, est-ce à l'État de suppléer ce que le discours religieux a perdu de pertinence et de capacité à convaincre ? C'est parce qu'ont émergé des droits et des nations libérés de la puissance religieuse qu'ont pu se créer des États démocratiques, indépendants de factions confessionnelles rivales. La laïcité est devenue une sorte de "bien commun" de la nouvelle Europe, comme dit le sociologue protestant Jean-Paul Willaime. Aucun pays membre ne s'identifie plus à une force idéologique ou religieuse unique. Cette victoire de la laïcité n'exclut pas la reconnaissance de l'utilité sociale et du rôle d'animation démocratique que joue la religion. Henri Tincq |
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Article de Jean RIEDINGER publié dans la lettre 78 de
l'UFAL le mardi 5 mai 2009
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